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Date : 30-07-2022 14:29:07
Les Verts sont dans le fruit
CHRONIQUE. Un chef d'État se doit de gouverner en anticipant. Rien n'a été fait pour éviter le rationnement énergétique qui se profile. La faute aux écolos?
« Gouverner, c'est prévoir. » Attribuée généralement à Adolphe Thiers, la citation n'avait en réalité pas besoin d'être inventée. Avancer au jour le jour, c'est gérer seulement le quotidien, ne pas voir au-delà du bout de son nez et, pour un gouvernant, ne pas voir au-delà de ses intérêts immédiats. Prévoir, en revanche, c'est réfléchir à la conséquence de ses décisions, à moyen ou long terme, ne pas se laisser guider par ses émotions ni par des modes – fussent-elles considérées comme des vérités –, et encore moins par des ambitions à la petite semaine. C'est parfois renoncer à ses bénéfices et même à ses goûts au nom de l'intérêt public. Gouverner en prévoyant est la marque des hommes d'État ou, au moins, celle des dirigeants soucieux d'un avenir concret et acceptable par les gouvernés.
C'est le choix qu'avait semblé faire Emmanuel Macron au début de la guerre en Ukraine. Ses réactions étaient fermes mais modérées, sans claquement de portes et encore moins de talons. Il avait compris que rien n'était aussi simple que ce que les émotions nous dictaient ou que ce que l'opinion, justement révulsée par les menées poutiniennes, semblait croire. Puis, on ne sait trop pourquoi, il a infléchi sa position vers la dureté, rejoignant en quelque sorte les projets de M. Le Maire et des faucons d'outre-Atlantique : il fallait mettre la Russie à genoux et on en aurait vite fini avec les « barbares du Nord », comme on appelait les Russes au XVIIIe siècle.
Force est de constater que rien ne se passe ainsi.
Sans doute parce qu'on a oublié que, comme le rappelle souvent dans ses écrits l'ambassadeur Gérard Araud, il n'y a aucun exemple de sanctions économiques qui ait permis de résoudre une crise de cette ampleur, sauf celles infligées pendant des années et par le monde entier à l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Nous sommes loin de ce dernier cas avec la Russie, la tournée mondiale de M. Lavrov ces derniers jours le montre.
On n'avait pas vraiment prévu que Poutine pouvait retirer l'échelle menant au grenier à blé de l'Europe et qu'il avait la main sur le robinet du gaz. Mon Dieu, qu'il est méchant d'en jouer aujourd'hui ! On veut sa perte, certes, mais tout de même, pourquoi réagir ainsi ? Hier encore, on avait sans cesse le mot « résilience » à la bouche, en oubliant que les Russes l'ont presque dans le sang.
Bref, nous voilà bien embêtés par nos propres idées toutes faites, nos ignorances historiques et notre imprévoyance. À force de retirer toutes les chaises de la table des négociations, on aura de plus en plus de mal à s'y asseoir, car, un jour ou l'autre, il le faudra bien, négocier…
Lorsqu'on veut faire la « guerre économique », il faut mettre son économie sur le pied de guerre, ce qui ne s'improvise pas du jour au lendemain. Nous en sommes donc incapables, parce que, depuis des lustres, nous avons été gouvernés par des gens qui n'ont rien prévu. Les mêmes qui ont laissé mourir l'entreprise Manurhin, parce que la petite munition « n'est pas stratégique », par exemple, menaceraient presque les industriels incapables d'en fournir à nouveau. Et que dire de l'énergie ? Un rude hiver se prépare et le rationnement nous pend au nez. Il viendra après les appels au civisme, à la frugalité et à l'achat de pulls de laine supplémentaires, n'en doutons pas.
Petites solutions
Voici un domaine où nos gouvernants ont été des modèles d'imprévoyance. Par confort et électoralisme, ou pour prendre le vent de la mode « écolo », ils ont laissé des irresponsables imposer leur petite musique et priver la nation de ce qui aurait pu faire sa tranquillité et même sa puissance. On parle ici de toutes ces nuances de Vert qui, depuis trente ou quarante ans, empêchent tous les projets, tous les investissements d'avenir et, au quotidien, obtiennent l'application de leurs petites solutions qui finissent par pourrir la vie au lieu de la rendre meilleure.
En matière de production énergétique, ils ont d'abord été contre le nucléaire, et nos gouvernements leur ont emboîté le pas, jusqu'à refuser à EDF les moyens ne serait-ce que d'entretenir ses centrales et de maintenir un savoir-faire en avance.
Ils réclamaient des énergies douces et renouvelables mais ont combattu les éoliennes et les barrages. Quant au solaire, ils n'étaient pas non plus vraiment pour, si bien que la production des panneaux a fui vers l'Asie.
Ils sont maintenant contre le gaz parce qu'il est russe ou parce que les Américains en produisent de schiste. Voilà comment une dizaine de pourcents du corps électoral a pu imposer des « solutions » face auxquelles aujourd'hui nous sommes bien dépourvus. Cette fois, les primes ne serviront à rien.
Nos sociétés ont toujours eu à subir des lubies et des lobbys, nos États ont dû se dépêtrer des spécialistes du « y a qu'à » et des solutions concoctées dans les arrière-boutiques militantes, mais rarement un mouvement nihiliste n'avait réussi à ce point à mener tout le monde dans le mur sans qu'on lui oppose de résistance, pas même de bon sens.
L'actuel pouvoir s'est cru plus malin, avec la confirmation de la fermeture de Fessenheim, avec la convention sur le climat et les autres artifices confortant l'immobilisme ou les non-choix, pour contenter ceux qui ne sont pourtant jamais contents de rien, qui ne croient plus en la science et dans le progrès, qui préfèrent les rats et les blattes aux hommes, voient dans l'écriture inclusive et le non-binaire la solution miracle à des problèmes qui étaient en voie d'être résolus, estiment que le débraillé est un marqueur politique, transforment des zones illégalement occupées en zone à défendre et pensent le retour à la bougie comme le chemin du salut.
Tout le monde s'en doutait (mais on ne pouvait tout de même pas être contre les petits chats et les oisillons) et a fini par ne plus pouvoir faire comme si.
Le gouvernement nous dit qu'il en tirera des conséquences immédiates alors qu'il va falloir des années pour rattraper le temps perdu : on ne réindustrialise pas sans capitaux et on ne construit pas de centrales nucléaires en un claquement de doigts. On aurait dû prévoir… mais il est trop tard.
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