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Date : 03-08-2023 11:36:56
Médine aux Journées d’été d’EELV : le rappeur qui voulait "crucifier les laïcards" a-t-il changé de refrain ?
Par Lucas Planavergne
Publié le 02/08/2023 à 17:08
L’invitation de Médine aux Journées d’été d’Europe Écologie-Les Verts, fin août, suscite de vives réactions. En 2018, alors qu'il devait se produire au Bataclan, le rappeur avait déjà déclenché une polémique en raison de ses paroles ambiguës et provocatrices sur la laïcité. Cinq ans après, quel est son discours ?
Un ver dans le fruit des Verts ? À l’occasion des Journées d’été d’EELV, qui auront lieu du 24 au 26 août 2023 au Havre (Seine-Maritime), le rappeur Médine, dont c’est la ville natale, est invité pour échanger avec la secrétaire nationale du parti écologiste, Marine Tondelier. L’objet du débat, qui n’a pas tardé à susciter de vives réactions sur les réseaux sociaux : une « explication de texte » intitulée « La force de la culture face à la culture de la force » – l’une des phrases fétiches du « MC ».
Une explication de texte ? Marianne la faisait déjà en 2018, alors que le rappeur était plongé en pleine polémique autour de son concert prévu au Bataclan, théâtre des attentats islamistes du 13 novembre 2015. En cause, notamment ? Des paroles de son album Jihad, le plus grand combat est contre soi-même (2005) mais aussi et surtout celles du titre Don’t Laïk, sorti – par hasard – une semaine avant le massacre de Charlie Hebdo en 2015, et qui traite, comme son nom l’indique, de la laïcité.
« Je scie l'arbre de la laïcité avant qu'on le mette en terre, Marianne est une Femen tatouée "Fuck God" sur les mamelles [...] Je me suffis d'Allah, pas besoin qu'on me laïcise », peut-on relever dans la chanson. Ou encore cette phrase, régulièrement citée par les détracteurs de l’artiste : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha. »
Plus tard, le rappeur avait admis « être allé trop loin » dans la provocation : « [Celle-ci] n’a d’utilité que quand elle suscite un débat, pas quand elle déclenche un rideau de fer. Avec Don’t Laïk c’était inaudible, et le clip a accentué la polémique. » Afin de « lever toute ambiguïté » Médine s'était également fendu d'un tweet en juin 2018, dans lequel il condamnait les « abjects attentats du 13 novembre 2015 et de toutes les attaques terroristes », et déplorait être victime des « foudres de l'extrême droite et de ses sympathisants ».
Problème : certains responsables de gauche avaient, eux aussi, émis des critiques sur le personnage et ses paroles. « Je ne suis pas de ceux qui sont dans l'interdiction, mais il y a une question qui est effectivement posée » avait par exemple réagi le Premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, dénonçant le « texte insupportable pour la République » que constitue Don't Laïk. « Je n'ai pas changé d'avis », confie d'ailleurs le patron du PS auprès de Marianne, cinq ans après la polémique autour du rappeur. Et d'ajouter : « Cela n'interdit pas le dialogue et la confrontation avec lui. »
Les paroles de Médine ne sont toutefois pas les seuls arguments brandis par ses adversaires pour le discréditer. Ses anciennes photos prises aux côtés de la fondatrice du Parti des indigènes de la République (PIR), Houria Bouteldja, ou encore de l'imam Hassan Iquioussen – expulsé du territoire français depuis pour des propos jugés « contraires aux valeurs de la République » – sont régulièrement exhumées sur les réseaux sociaux. Tout comme les images où l'on peut voir le rappeur faire une quenelle, geste du bras à sous-entendu antisémite popularisé par l'ex-humoriste Dieudonné.
Une autre accointance passée du Havrais est également souvent pointée du doigt : ses liens avec « Havre de savoir », qui se définit comme « une association dont le but est de faire connaître l'islam et ses valeurs d'ouverture », mais qui s'inscrit en réalité « dans le courant de pensée des Frères musulmans », d'après le chercheur et islamologue Romain Caillet, interrogé par CheckNews. « Je suis désormais officiellement l'ambassadeur de Havre de savoir. Lors de mes déplacements, de mes concerts à l'extérieur, j'essaie de toujours placer un mot pour promotionner l'association [...] Je vous invite à rejoindre nos rangs », assurait Médine lui-même, dans une vidéo datée de 2012. Auprès de CheckNews, il assurait pourtant n'avoir jamais tenu ce rôle pour l'organisation, ni même été adhérent…
TOUJOURS CRITIQUE DES « LAÏCARDS »
Depuis ces événements, grâce ou à cause des polémiques, le rappeur a gagné en popularité : France Télévision lui a même consacré un documentaire, Médine Normandie, diffusé pour la première fois en novembre 2020 et financé en partie par le conseil régional de Normandie, dirigé par le centriste Hervé Morin.
Au grand dam de l'élu ex-RN rallié à Reconquête !, Nicolas Bay, qui avait alors accusé Médine d'être proche de « la mouvance islamiste » – des mots contre lesquels l'intéressé a porté plainte.
Pour justifier la venue de l'artiste aux Journées d'été d'EELV, les organisateurs ont mis en avant cette nouvelle notabilité : « Ne soyons pas dupes : Médine peut se produire à l’invitation de Hervé Morin, à Sciences Po [il a participé à une conférence en 2018] être parrain ESSEC [plus précisément d'un programme égalité des chances de l'école, en 2014] mais ne peut pas participer aux Journées d'été écologistes parce que certains préfèrent cantonner ses textes à de "l'art urbain" pour éviter la confrontation politique », a en effet expliqué l'adjointe (EELV) au maire du 18e arrondissement de Paris, Léa Balage El Mariky, sur Twitter ce 2 août. D'après elle, Médine et les écologistes ne sont « pas d'accord sur tout », celui-ci ayant « pris des positions qui divergent » des convictions du parti et pour lequel il « s'est expliqué ».
Dans les textes, les positions ambiguës du rappeur n'ont pourtant pas totalement disparu. Son discours contre la laïcité prend désormais la forme d'un antiracisme prompt à dénoncer chaque fois que faire se peut « l'islamophobie ».
Dans le titre Voltaire sur son album Grand Paris (2020), l'artiste dénonce ainsi un traitement politico-médiatique « pas équitable » entre l'affaire Mila, du nom de cette jeune femme menacée de mort pour avoir osé critiquer la religion musulmane sur les réseaux sociaux, et celle de Mennel, une jeune musulmane ayant participé au télécrochet The Voice avec son foulard, et dont les anciennes publications polémiques sur les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray avaient refait surface.
L'artiste va jusqu'à reprendre des concepts à La France insoumise, telle que la « créolisation » mise en avant par Jean-Luc Mélenchon dans sa campagne présidentielle en 2022. « Cousine, enlève bien ton hijab avant de rentrer au lycée. Car la France jusqu'à c'qu'elle nous aime, on va la recréoliser », lâche ainsi le « MC » dans La France au rap français, septième piste de son dernier album, Médine France (2022).
« Quand ils s’adressent à l’un d'nous comme Pepita dans Pyramide. Prends des coups d'matraque dans le pif comme des tests antigéniques. Si tu l’ouvres, t’es qu’un islamiste, au mieux, un indigéniste », déplore-t-il également dans le titre éponyme de l'album.
Un morceau dans lequel il attaque, par ailleurs, frontalement des représentants médiatiques de la laïcité – il le faisait déjà dans ses précédents titres, en s'en prenant à des figures comme l'essayiste Caroline Fourest. « Le Printemps républicain c'est la campagne en hiver. Ça manque de culture, c'est tout blanc, que des blaireaux qui hibernent », peut-on ainsi entendre dans le morceau. Ou encore : « T'es dans le camp d'la gauche Kouachi si t'es pas de la droite CNews. J'préfère qu'on m'traite de séparatiste qu'être dans le camp d'Lydia Guirous [autrefois en charge de la laïcité à l'UMP et désormais préfète déléguée pour l’égalité des chances]. »
Dans ce huitième opus, Médine met également en avant son appartenance à la France, bien plus que dans ces précédents disques – en témoigne la pochette du CD illustrée par sa carte d'identité française. En n'oubliant pas d'évoquer ses origines algériennes en parallèle. « J’ai le cœur étranger, en forme hexagonale [...] J'mange pas de cochon, mais j’ai l’accent d’un vrai cauchois. Mais je viens aussi d’Afrique du Nord, comme Claude François », rappe-t-il dans Allons Zenfants, un titre aux allures de Marseillaise détournée, dans lequel il assure vouloir « réécrire » lui-même « l’hymne de la nation ».
Le propos « antifa » du rappeur, présent depuis son début de carrière, s'est encore renforcé depuis cinq ans. « J'pisse sur la fleur de lys, sur les fafs, les souverainistes. Les pédérastes de pétainistes, j'pisse sur les racistes. Sur les haineux maladifs qui jouent les asymptomatiques. Ceux qui chient sur les muslims mais panthéonisent Joséphine », énumère-t-il dans Généric, onzième piste de Médine France. « Mon père a chassé les skinheads, en 1987. Plouf-plouf au fond d'la Seine, les ancêtres du RN », peut-on également relever dans le morceau Saint-Modeste, sur le même album.
Si cette lutte contre la droite et l'extrême droite est quasiment intrinsèque au rap français, chez Médine, elle dépasse largement le cadre artistique. En avril dernier, alors que des membres du Rassemblement national s'opposaient à la venue du rappeur à Agen (Lot-et-Garonne), celui-ci a rétorqué lors dudit concert en offrant à son public des piñatas à l'effigie de la députée RN de Gironde, Edwige Diaz, et de la conseillère municipale RN de Lormont, Julie Rechagneux. Dans la foulée, les deux élus lepénistes ont porté plainte.
Le chanteur de 40 ans s'était illustré pour un acte du même acabit quelques jours auparavant, lorsque le député RN, Frédéric Cabrolier, et le maire LR de Lavaur (Tarn), Bernard Carayon, souhaitaient, eux aussi, interdire l'un de ses concerts en raison de « risque de troubles à l'ordre public ».
En réponse, Médine s'était alors filmé en train de jeter des fléchettes sur les portraits des deux élus, diffusant la vidéo sur ses réseaux sociaux. Les deux hommes avaient, là encore, déposé plainte dans la foulée. En 2021, c'était toutefois l'artiste lui-même qui annonçait porté plainte en diffamation contre la députée Renaissance – désormais ministre des Solidarités – Aurore Bergé, qui l'avait qualifié de « rappeur islamiste » dans un entretien sur LCI, réagissant à l'invitation du Havrais pour une conférence à l'École normale supérieure (ENS).
UNE NOTABILISATION POLITIQUE
Si quelque chose a néanmoins changé chez Médine depuis la polémique du Bataclan, ce sont bien ses engagements politiques. Ces derniers étaient, certes, déjà visibles depuis ses débuts, mais ils se matérialisent bien plus concrètement aujourd'hui. Lors de l'élection présidentielle de 2022, le rappeur avait appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon, puis à faire barrage à Marine Le Pen en donnant sa voix à Emmanuel Macron au second tour. Au cours de la mobilisation nationale contre la réforme des retraites, l'artiste a également pris position, notamment en participant à des concerts de soutien.
En mars, aux côtés de la comédienne et militante Adèle Haenel, ainsi que de l'économiste Frédéric Lordon, il s'était même rendu auprès des grévistes de la raffinerie TotalEnergies de Gonfreville-l'Orcher (Seine-Maritime), après la réquisition de quatre salariés pour permettre l’approvisionnement des aéroports parisiens. « La puissance du blocage du Havre », avait alors tweeté la députée LFI Alma Dufour, accompagnant sa publication d'une photo avec le chanteur. Dans les paroles de son dernier album, celui-ci évoque d'ailleurs largement ses nouvelles batailles sociales. « J’suis pas Made in France quand j’vois les étudiants d’vant le CROUS faire la queue pour obtenir la moitié d’un casse-croûte », peut-on entendre dans le morceau Médine France. Et dans la même chanson, encore plus explicitement : « Ils reculent l'âge de la retraite mais avancent l'âge de la mort. »
Lors d'un entretien accordé à BFMTV en 2022, le rappeur balayait l'idée d'une future candidature aux élections, affirmant déjà faire de la « politique à différents niveaux ».
Dans les textes de son dernier album, il joue pourtant avec sa notabilisation, faisant miroiter une potentielle entrée en politique. « J'monte sur la scène depuis petit, j'fais pas de concert, j'fais des meetings. J'suis le candidat l'plus légitime », assure dans La France au rap français celui qui veut être vu comme « ambassadeur, pas comme un conquérant » – dans Heureux comme un Arabe en France.
Doit-on croire à l'hypothèse, encore plus explicitement exposée dans le titre Grenier à seum ? « Dans mon grenier à seum [rancœur] y a une élue de la ville, une conseillère municipale complètement débile [...] Aujourd'hui, j'ai toujours pas les clés d'la city. Mais quand on parle du Havre, c'est mon blase en premier qu'est cité. Elle va voir tout flou la vieille en 2026, quand j'vais devenir le maire d'la municipalité. »
marianne.fr
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